Si l'on considère que notre bonheur, nos relations
avec les autres, sont plus importants que l'accumulation
de biens pour stimuler la croissance économique,
alors la remise en cause de l'automobile devrait être
un des premiers enjeux de la décroissance. L'automobile
est en effet un outil majeur de la conception économique
actuelle du monde.
Bien que maintes et maintes fois répétés,
les méfaits de lautomobile ne sont jamais entendus
et sont étouffés par une idéologie
qui ne veut absolument pas en entendre parler. Dans notre
monde qui se veut rationnel et logique, lautomobile
est loutil le plus passionnel et le plus aberrant
qui soit. La croissance automobile ne peut pas sinscrire
dans le long terme et nest encore possible aujourdhui
que parce que seule une minorité privilégiée
de lhumanité en a fait loutil de son
développement économique. Si nous voulons
que la vie puisse être possible sur Terre dans les
décennies à venir, notre seule issue est donc
dabandonner ce fléau en remettant en question,
de manière radicale et profonde, les causes qui font
que lidéologie automobile est devenue dominante
dans les pays industrialisés. La sortie de lautomobile
doit se faire par une réduction de notre consommation
matérielle et énergétique, une diminution
des flux de transports, une réorganisation de nos
sociétés et une remise en cause de nos objectifs.
Lautomobile est une aberration,
un fléau
Le slogan La bagnole, ça pue, ça tue
et ça pollue est encore loin de mobiliser les
foules. Pourtant, il nest pas besoin dêtre
un expert scientifique pour se rendre compte des innombrables
dégâts causés par lautomobile.
Que ce soit à travers la pollution visuelle, sonore,
atmosphérique ou sociale, lautomobile fait
de nos villes un véritable enfer mécanique
sale et malodorant. Si la pollution de lair est souvent
évoquée et que les constructeurs automobiles
nous promettent des avancées technologiques pour
y remédier (dans un contexte, où paradoxalement,
la proportion de 4x4 et autres véhicules de grosses
cylindrées ne cesse daugmenter), les autres
sources de pollutions sont laissées de côté,
car trop embarrassantes et nécessitant un remède
plus profond que de simples réponses techniques.
Les dégâts causés à nos paysages
par lautomobile sont rarement évoqués.
Ils constituent pourtant une source de dégradation
de notre environnement que nous oublions par habitude, mais
que la revue Casseurs de pub nous rappelle, photo dun
échangeur routier à lappui (1). Il convient
parfois de prendre du recul ou davoir passé
quelques jours dans un endroit préservé pour
se rendre compte à quel point cet enchevêtrement
dautoroutes et de voies bitumées peut être
inhumain. Les zones commerciales, dont la laideur na
dégal que les blockhaus de la seconde guerre
mondiale, simmiscent jusquautour des plus petites
villes de campagne en empêchant au regard de pouvoir
se poser sur quelque chose qui ressemble à de larchitecture
ou à de la verdure. Dans le film Le Fabuleux destin
d'Amélie Poulain qui dépeint une image de
Paris idyllique et agréable, la voiture est
sauf au moment dune apparition publicitaire
absente du tableau. Jean-Pierre Jeunet naurait jamais
pu nous transmettre une image du bonheur simple dans une
ville aux rues remplies dautomobiles, dans un espace
sillonné par les autoroutes ou dans un quartier bordé
par un dédale de voies daccélérations,
de ponts routiers et de deux fois trois voies.
Lautomobile enlaidit lespace public, et se
laccapare au détriment des autres usagers.
A Paris, par exemple, la voirie est occupée à
60 % par les voitures en stationnement. Une voiture consomme
12 fois plus despace par personne transportée
quun bus et le taux moyen doccupation des voitures
est de 1,25 personne par voiture dans la région parisienne
(2). Lautomobile sest approprié les rues
des villes, les places des villages et les routes de campagne.
Dans la vallée de la Maurienne, lespace est
si exigu quil ny a parfois pas la place pour
la rivière Arc, la nationale 6, la ligne de chemin
de fer Lyon-Turin et lautoroute. Pour résoudre
le problème, on a été obligé,
soit de creuser des tunnels, soit de faire passer littéralement
lautoroute au-dessus des habitations. En ville, les
enfants nont pas despace pour jouer et ont déserté
les rues au profit de leur console de jeux grâce à
laquelle ils peuvent se prendre pour Shumacher ou un membre
dun commando armé. Dans les comités
de quartier, lors des réunions de discussion avec
la mairie de Lyon, le problème du stationnement est
inlassablement évoqué. Mais quoi que lon
fasse, il ne sera jamais possible de concilier espaces publics
et parkings, respect du stationnement et augmentation incessante
du nombre de véhicules, surtout lorsquil sagit
des centres urbains ou lun des quartiers les plus
densément peuplés dEurope tel que celui
des pentes de la Croix Rousse à Lyon.
Si nous voulons vivre dans une société où
lon continue à avoir chaque année plus
dautomobiles que lannée précédente,
où chacun peut se garer devant sa porte, se rendre
au travail et faire ses courses en voiture, alors nous devons
faire tables rase du passé, détruire tous
nos centres urbains et reconstruire des villes immenses
qui sétendront sur des dizaines de kilomètres
et ressembleront à peu près à ce qui
se fait aux Etats-Unis.
Les villes européennes, de par leur forte densité,
sont incompatibles avec lafflux dautomobiles
que nous leur imposons et sont sujettes à une pollution
sonore inacceptable. Un tiers des ménages
déclare être gêné par le bruit
de la circulation, au moins de temps en temps, lorsquils
sont dans leur logement. Ils sont 40 % en banlieue parisienne
et 46 % dans Paris. On estime que 7 millions de personnes,
soit 12,3 % de la population, sont particulièrement
concernés (3). Même la mairie de Marseille
le reconnaît : Mais la meilleure façon
de lutter contre le bruit reste de limiter la circulation
automobile elle-même. (4). Ne nous leurrons
pas, des automobiles fonctionnant à laide dun
moteur plus silencieux que le moteur à explosion
(électrique, à air comprimé ou autre)
continueront à être une nuisance sonore en
ville ou sur les routes, car la majorité du bruit
provient des frottements de lair et des roues sur
la chaussée dès 50 km/h. La limitation de
vitesse et linterdiction de klaxonner nétant
pas respectées en ville, le bruit dune autoroute
sur laquelle circuleraient des véhicules au moteur
silencieux étant identique au bruit dune autoroute
actuelle, le problème du bruit automobile ne peut
être résolu quen substituant à
ce mode de transport des moyens plus cohérents (vélo,
marche à pied, tramways
).
Une pollution sociale
Bien que les constructeurs automobiles ne puissent plus
se permettre de nier la pollution engendrée par lautomobile,
je nai jamais entendu aucun dentre eux parler
de pollution sociale. Pourtant, lorganisation de nos
sociétés telle quimposée par
lautomobile implique une déstructuration forte
de lorganisation des villes et des villages. Les petits
commerces ont été anéantis par les
multinationales de la grande distribution. Les villages
se sont vidés de leurs artisans au profit de zones
commerciales lointaines où les familles se rendent
deux fois par mois pour acheter de quoi remplir leur congélateur.
Dans ce contexte, vivre sans voiture devient de plus en
plus dur, lexclusion sociale de ceux qui ne peuvent
pas conduire (personnes âgées, personnes nayant
pas le permis, personnes nayant pas les moyens de
posséder une voiture
) ou de ceux qui ne veulent
pas conduire (vus par la population comme de dangereux extrémistes
écolo) va grandissante. Roule ou crève, telle
est la devise de la société du tout automobile
qui ne supporte pas que lon puisse avoir envie de
vivre autrement.Nous ne nous attarderons pas trop longtemps
sur la pollution atmosphérique qui est la facette
la plus médiatisée du problème de la
pollution automobile. En ce qui concerne la consommation
énergétique et la pollution atmosphérique,
l'impact du mode routier avoisine, voire dépasse,
les 90 % de la contribution du secteur des transports
(5). Bien que la voiture soit responsable, en France de
15% des émissions doxyde de soufre, de 60%
des oxydes dazote, de 55% des monoxydes de carbone,
de 40% des particules en suspension, les mesures prises
pour renouveler le parc automobile et les progrès
techniques sont censés apporter des solutions à
ce problème.
Bien quindéniables, mesurables et chiffrables,
les diverses pollutions causées par lautomobile
sont, dans le pire des cas, passées sous silence
et ignorées et, dans le meilleur des cas, acceptées
sans quaucune mesure efficace ne soit prise pour y
remédier. Tout se passe comme si notre société
était atteinte dun mal parfaitement identifié,
mais préférait continuer comme si de rien
n'était, les conséquences de lacceptation
de ce mal étant trop douloureuses et remettant en
cause de manière trop profonde nos modes de vie.
Un outil de violences
On se serait bien contenté des nuisances provoquées
par les automobiles, mais ce serait sans compter sur les
nuisances provoquées par le comportement violent
des automobilistes. En 2001, 8159 personnes sont mortes
sur les routes de France, soit près de 21 morts par
jour, 200 000 personnes ont été blessées,
dont 45 000 gravement (6). Au niveau mondial, ce sont huit
millions de personnes qui ont perdu la vie jusqu'en 1994
(7). En France encore, les jeunes de 15 à 24 ans
ont 38% de chances de mourir dans un accident de la route,
première cause de mortalité pour cette tranche
dâge, devant le suicide (17%)(8).Ces statistiques
effrayantes montrent clairement que lautomobile est
un outil de violences physiques intolérable de par
le nombre de morts que son utilisation provoque. Si lon
considère quenviron 10% de lhumanité
roule en voiture et que le nombre de véhicules augmente
de manière incessante dans le monde, il faut sattendre
à voir ces chiffres décuplés dans les
prochaines années.
Comment lêtre humain peut-il se transformer
aussi radicalement au volant dune automobile, au point
de devenir une bête féroce, dangereuse et mortelle
? A partir du moment où lautomobiliste rentre
à lintérieur de la boîte de tôle
constituée par sa voiture, il se dépossède
de son enveloppe charnelle pour sidentifier à
celle de son véhicule. Ainsi, si vous vous en prenez
à la carrosserie du véhicule, son conducteur
ressentira cela comme une agression portée directement
sur sa personne. Imaginons un instant que les piétons
se conduisent de la même manière que les automobilistes.
Si vous marchiez trop lentement sur un trottoir, le piéton
suivant vous hurlerait des insultes pour que vous le laissiez
passer. Lorsque le feu piéton passerait au vert,
votre moindre hésitation serait punie par de grands
coups de corne de brume dans vos oreilles. Un tel comportement,
qui apparaîtrait comme incroyablement agressif et
irrespectueux est pourtant celui de beaucoup dautomobilistes.
Non contents de sêtre accaparé la quasi-totalité
de lespace, les automobilistes occupent, de manière
totalement illicite, le peu despace public restant
aux piétons, aux cyclistes, aux handicapés,
aux autres usagers de la route. Comme une force armée,
les automobiles occupent des territoires qui ne leur appartiennent
pas, sur lesquels ils nont aucun droit et dont les
occupants possèdent moins de force physique. Lautomobile
sattaque préférentiellement aux plus
faibles (piétons, cyclistes) dont la masse physique
ne peut rien contre la tonne dacier dont elle est
constituée. Elle sinscrit dans une logique
de domination et de violence envers ceux qui voudraient
un meilleur partage de la chaussée. La recrudescence
du nombre de 4x4 et véhicules utilitaires de
sport comme les appellent les Nord-Américains
est lié à ce processus de domination par la
force.Après sêtre imposée en force
dominante et avoir tué, de manière directe,
des millions de personnes, lautomobile continue son
travail de destruction massive en imposant la loi de la
terreur et en ravageant des populations pour assouvir sa
soif de pétrole. Comme le dit Marie-Hélène
Aubert, Le carburant que nous mettons dans nos voitures
a parfois lodeur de sang, de malversations et dencouragements
à des gouvernements dictatoriaux (9). A lheure
où nous nous insurgeons contre la guerre en Irak,
Total bénéficie du travail forcé des
populations birmanes et du soutien de la dictature en place,
le président gabonais, Omar Bongo, senrichit
au détriment de la population, les Pygmées
sont déplacés et persécutés
car ayant le malheur de se trouver sur la route dun
oléoduc entre le Tchad et le Cameroun...
Lautomobile induit une violence aussi bien au niveau
individuel quau niveau collectif, au niveau local
quau niveau international. Lêtre humain
nest sûrement pas assez évolué
pour maîtriser un outil qui dépasse ses capacités
à se conduire en citoyen du monde. Puisque les armes
sont interdites en France et que lon reproche souvent
aux Nord-Américains de ne pas faire de même,
pourquoi ne pas interdire les automobiles qui représentent
un danger au moins aussi grand et dont lutilisation
nous échappe tout autant.
Lautomobile est irrationnelle
Si nous analysions rationnellement le rapport entre avantages
et inconvénients liés à lutilisation
de lautomobile, nous abandonnerions immédiatement
ce mode de transport. Malheureusement, lutilité
prêtée à lautomobile est complètement
déconnectée de la réalité et
nest même pas justifiée par des raisons
économiques. Il est dailleurs paradoxal de
voir des données de rentabilité financière
venir au secours des écologistes qui militent contre
la construction de certaines autoroutes (10).
Dans Energie et Equité, Ivan Illich calculait la
vitesse réelle dune automobile en incluant
le temps passé à travailler pour supporter
le coût de cette automobile. Avec vitesse = distance
/ temps, actualisons ce calcul au niveau de la France. La
distance parcourue par an est de 14 000 km par véhicule
en France. Le temps passé doit inclure le temps passé
dans la voiture plus le temps passé à construire
lautomobile, entretenir les routes et les autoroutes,
à soigner les blessés et enterrer les morts.
Bref, la vitesse réelle dune automobile doit
être calculé en divisant la distance parcourue
par lensemble des temps nécessaires à
son fonctionnement et à son utilisation.
Retenons les faits suivants :
* Distance moyenne parcourue par véhicule en France
: 14 000 km
* Nombre de véhicules particuliers en France : 26
800 000,
* Budget du secteur automobile : 150 milliards deuros
(11),
* Coût insécurité routière :
27,8 milliards deuros (12),
* Salaire moyen : 19 938,00 euros par an et par actif.
Cela signifie qu'en moyenne chaque véhicule coûte
6635 euros à la société (150 milliards
+ 27,8 milliards / 26,8 millions de véhicules).
En moyenne un actif travaille 1650 heures par an, ce qui
signifie qu'il gagne (19 938 / 1650) environ 12 euros de
l'heure.
Pour payer ces 6635 euros, en moyenne chaque actif va donc
travailler 553 heures.
S'il roule à une moyenne au compteur de 50 km/h,
il passe alors 280 heures dans sa voiture (14 000 / 50).
Pour se déplacer, il met donc 280 heures de voiture
et 553 heures de travail, soit 833 heures. Et sa vitesse
réelle est alors de (14 000 / 833) 16,8 km/h.
S'il essaie d'aller plus vite, avec 100 km/h (ce qui en
fait un véritable chauffard !), il ne passe plus
que 140 heures dans sa voiture mais travaille toujours 553
heures et donc il se déplace réellement à
20 km/h (14 000 km/140 + 553 heures).
Même en roulant à une vitesse infinie, il ne
se déplacerait réellement jamais à
plus de 25,3 km/h (14 000 km/553 heures).
La vitesse des automobiles apparaît soudainement
comme extrêmement relative. Il est intéressant
de remarque que la vitesse réelle augmente beaucoup
moins vite que la vitesse moyenne affichée au compteur.
Ainsi, une accélération de 50 à 100
km/h ne permet de gagner que 3 km/h réels !
Ladage Il ne sert à rien de rouler vite
naura jamais été aussi vrai. A 50 km/h
de moyenne au compteur, la vitesse réelle dune
automobile est identique à la vitesse instantanée
dun vélo. De plus, ces coûts ne sont
pas exhaustifs (prix du soutien des dictatures, de la guerre
en Irak
) et sont menés à augmenter irrémédiablement
avec laugmentation du prix du pétrole.
Lutilisation de lautomobile est totalement
irrationnelle car elle ne fait pas gagner plus de temps
quelle nen fait perdre, parce quil faut
une tonne pour transporter une personne en voiture contre
10 à 15 kg à vélo. Lautomobile
permet de profiter du bon air de la campagne et de fuir
latmosphère irrespirable des villes
causé
par toutes ces automobiles qui se rendent à la campagne
pour fuir latmosphère causé par toutes
ces automobiles qui se rendent à la campagne, etc.
etc.
Lautomobile nest pas généralisable
à léchelle de la planète
Il y a actuellement sur Terre environ 600 millions dautomobiles,
soit une voiture pour 10 habitants. Malgré cela,
la situation est déjà très préoccupante,
que ce soit pour les dégâts causés à
latmosphère et laugmentation des températures
liée à leffet de serre ou lépuisement
des ressources pétrolières. Etendre lutilisation
de la voiture à lensemble de lhumanité
serait tout simplement impossible. En comptant 22 tonnes
de pétrole par habitant de la Terre, et au rythme
de consommation actuel dun Français moyen,
cela se traduirait par un épuisement total des ressources
pétrolières dans moins de 13 ans (13), sans
tenir compte des nombreuses autres utilisations du pétrole
dont ont besoin lindustrie pétrochimique, les
engrais, la fabrication des médicaments
Le
pétrole est une ressource qui ne nous appartient
pas plus quà ceux qui viendront derrière
nous et que nous navons pas le droit dhypothéquer
sur la vie des générations futures.
Les problèmes écologiques sont comme une
énorme roue à inertie que nous ferions tourner
chaque jour un peu plus vite. Cette roue tourne déjà
beaucoup trop vite et beaucoup des dégâts sont
déjà irréversibles. Alors que nous
devrions, de manière urgente, nous demander de quelle
manière ralentir cette roue, nous ne sommes même
pas capables de ralentir son accélération
et continuons, au contraire, à la faire tourner de
plus en plus vite. Alors que les 10% dhumains privilégiés
qui utilisent les automobiles ont déjà à
eux seuls, dépassé les seuils critiques et
mis en péril les équilibres écologiques,
nous parlons de la Chine comme dun formidable marché
pour lindustrie automobile et dune promesse
de développement économique extraordinaire.
Comment pouvons-nous tenir un raisonnement aussi aberrant,
totalement dénué de raison et de bon sens
dans notre société où la preuve scientifique
est reine, où le raisonnement rationnel est sensé
nous sauver de lobscurantisme ? Si nous acceptons
de regarder la réalité en face, si nous mettons
de côté un instant nos pulsions et nos rêves
utopiques, nous nous apercevons que lautomobile nest
tout simplement pas compatible avec la vie humaine sur Terre,
un point cest tout.
Lautomobile est une idéologie
Si nous continuons à rouler en automobile, malgré
tous les problèmes que cela pose, malgré la
violence et lincohérence qui en découlent,
cest parce que notre rapport à lautomobile
est bien plus passionnel que rationnel. Cest parce
que lautomobile est une idéologie dominante
véhiculée par la publicité et la majorité
des médias.
Nous commençons notre vie en jouant avec une voiture
en plastique et un gros bonhomme rigolo pour la conduire.
Nous poursuivons avec une voiture aux contours un peu plus
précis en avançant dans lenfance. Puis
vient la voiture en modèle réduit qui reproduit
le plus fidèlement possible celle qui se trouve dans
le garage familial. Lassé par ces jouets inertes,
nous nous tournons alors vers un circuit de voitures électriques
ou une voiture radio-commandée qui apporte enfin
un semblant de sensation de vitesse et de puissance par
procuration. Tout en jouant, nous rêvons du plaisir
que pourrait procurer la conduite dun tel bolide,
pour de vrai. Les dimanches à regarder
la formule 1 à la télévision sont des
moments privilégiés où père
et fils peuvent échanger sur une passion commune,
sur le changement de pneus ou le nouveau moteur à
12 cylindres.
Pendant toute notre enfance, nous sommes bercés
par cette idéologie, nous glorifions le champion
de formule 1 et le vainqueur du dernier rallye. Lautomobile
est un élément structurant de la vie et marque
létape du passage à lâge
adulte par lobtention du permis de conduire. A part
pour les rares enfants dont léducation aura
inclus une part plus ou moins grande de remise en cause,
refuser lidéologie dominante de lautomobile
revient à rejeter une part importante de son éducation,
à sopposer à ses copains, à sexclure
de nombreuses discussions, voire sexclure totalement
de certains groupes damis.
La télévision, la publicité, les copains,
les collègues, les aides fiscales, tout est mis en
uvre pour vous démontrer que vous avez absolument
besoin dune automobile et que le bonheur est impossible
sans en posséder une. Les publicitaires, qui se veulent
incarner la modernité et le dynamisme utilisent des
procédés totalement rétrogrades et
machistes pour arriver à leurs fins. Ainsi, une banque
a récemment diffusé une publicité où
lon voit deux jeunes étudiants épris
dune magnifique jeune femme. Le premier roule dans
une vieille guimbarde. Le deuxième se rend à
la banque pour emprunter de largent et acquérir
une auto décapotable toute neuve. Qui des deux séduira
belle fille ? Le deuxième bien sûr. Pas besoin
de chercher plus loin pour ces publicitaires qui sappuient
sur léquation Belle voiture = jolie
fille maintes fois éprouvée.
Lorsquils font preuve dun tout petit plus de
finesse, les publicitaires associent la voiture à
un mélange de puissance, de domination (sexuelle
et sociale) et de liberté. Lautomobile devient
lobjet qui permet de saffirmer dans le monde
et de saffranchir des contraintes matérielles
en sextrayant de la lenteur naturelle de notre condition
dhumain. Malheureusement, la pseudo-liberté
que permet lautomobile se fait très souvent
aux dépends de la liberté commune de respirer
un air propre, de vivre dans le calme, de rester en vie
ou de vivre dans un Etat démocratique. Dans un bar,
une affiche ma marqué. On y voyait Jean Gabin,
au volant dune décapotable et la citation suivante
: Vive la liberté, surtout la mienne .
Cette version de la liberté automobile, égoïste,
est le reflet de ce qui se cache derrière les promesses
de bonheur publicitaire.
La nécessité de conduire une voiture est
imposée de plus en plus tôt. Alors quil
y a de ça une vingtaine dannées la faculté
était synonyme de vélo, de vélomoteur
ou de transport en commun, les étudiants possédant
une automobile sont de plus en plus nombreux. Les parents
se saignent aux quatre veines pour permettre à leurs
chers bambins de pouvoir se déplacer décemment.
Lidée que les étudiants roulent tous
en voiture est tellement communément admise que lorsquelle
a ouvert ses portes en 1996, lUniversité de
technologie de Troyes avait prévu des centaines demplacement
pour les voitures, mais avait tout simplement oublié
que certains étudiants roulaient encore à
vélo. Ainsi, une trentaine détudiants
cyclistes se sont retrouvés sans endroit prévu
pour stationner leur bicyclette là où le nombre
de places de parking avait été amplement dimensionné.
Lautomobile est imposée par la vie sociale,
mais aussi par la vie professionnelle. Pour certains métiers
tels que le conseil ou le service aux entreprises, la possession
dun permis de conduire est une condition sine qua
non dembauche. Toute personne ne pouvant pas ou ne
voulant pas conduire se verra irrémédiablement
écartée de ces postes. Lhyper mobilité
professionnelle peut sexpliquer par une spécialisation
forte des professions. Plus le nombre de spécialistes
dun domaine donné est faible, plus leur champ
daction doit être important. Nous évoluons
vers une organisation du travail où lutilisation
de lautomobile devient obligatoire dans de plus en
plus de cas.
Lidéologie automobile simpose dans tous
les aspects de nos vies, que ce soit à travers nos
loisirs ou lorganisation économique de nos
sociétés. Ce mode de fonctionnement nous apparaît
irréfutable et naturel. Pourtant, lidéologie
automobile est une idéologie minoritaire puisque
90 % des habitants de notre petite planète nen
possèdent pas et que nous ne sommes que quelques
privilégiés à ne pas pouvoir nous en
passer et penser que lorganisation de la vie est impossible
autrement.
Sortir de lautomobile par la décroissance.
Face aux problèmes créés par lautomobile,
les chevaliers vaillants de la technique nous promettent
tout un arsenal de solutions qui nous permettront de résoudre,
scientifiquement, chacun de ces maux sans avoir à
remettre en cause une seule seconde le mode de vie sur lequel
lautomobile est basée. La violence automobile
sera réduite grâce au développement
du téléguidage, des systèmes de régulations
automatiques de conduite, de la généralisation
des coussins gonflables de sécurité, des freins
plus puissants et plus efficaces, des ceintures à
pré tenseurs, de tous les équipements de sécurité
pour lesquels la recherche avance et contribue à
lamélioration générale de notre
bien-être. La pollution sera réduite grâce
à la suppression des véhicules vétustes,
à linstauration de normes draconiennes sur
les émanations gazeuses. Le problème de lépuisement
des réserves pétrolières et gazeuses
sera résolu grâce au remplacement du moteur
à explosion par un moteur propre électrique
ou à lhydrogène. Remarquons au passage
que la pollution sonore nest que rarement évoquée,
la pollution visuelle encore moins et la pollution sociale
pas du tout.
Toutes ces solutions techniques sont totalement inefficaces
pour plusieurs raisons. Le nombre de véhicules augmente
plus rapidement que les progrès techniques mis en
avant. Ceux-ci ne suffisent pas pour rendre lautomobile
mondialement soutenable et sont bien trop insuffisants pour
faire en sorte que chaque femme ou chaque homme sur Terre
soit en mesure de posséder une automobile. Même
en réduisant de moitié les effets négatifs,
la voiture continuera à tuer, polluer, épuiser
les ressources et rendre la vie impossible à des
millions dhumains et ce, de manière beaucoup
plus importante que ce qui est soutenable par la biosphère
et lavenir de la vie humaine. La voiture propre
nexiste pas et ne pourra jamais exister. Il ny
a à ce jour aucune source dénergie non
polluante. Lélectricité est produite
soit à partir dénergie fossile, soit
à partir dénergie nucléaire.
Lélectricité est dépendante des
réserves en pétrole, gaz, charbon ou uranium.
Lélectricité produit des gaz à
effet de serre ou des déchets radioactifs. Lhydrogène
est produit soit à partir dhydrocarbures, soit
à partir
dénergie électrique.
Certains scientifiques nous rétorquent que lon
trouvera bien quelque chose, que lhumain
possède une capacité dévolution
hors du commun et que les progrès techniques
permettront de trouver une source dénergie
totalement non polluante et infinie. Cela est très
beau, mais relève plus de la croyance que dune
véritable acuité scientifique à analyser
les données de manière rationnelle.
Les problèmes que pose la généralisation
des véhicules individuels doivent être résolus
de manière philosophique et politique. Nous devons
accepter nos responsabilités dhumains à
faire face à notre destin et arrêter de nous
en remettre sans cesse à la bonne fée technique.
Prenons lexemple de lutilisation de la bicyclette
en ville. Pour promouvoir son utilisation, on peut sy
prendre de deux manières.
La première, la solution technique, consiste à
construire de nombreuses pistes cyclables sans remettre
en cause la place réservée à lautomobile.
Cette solution aura pour fâcheuse tendance dhabituer
les automobilistes à être les seuls utilisateurs
de la chaussée, à faire des cyclistes une
espèce en voie de disparition protégée
pour laquelle un parc naturel (les pistes cyclables) doit
permettre de sauvegarder les quelques spécimens survivants.
La deuxième, la solution politique, consiste à
réduire de manière considérable lespace
réservé aux automobiles, à supprimer
les places de stationnement, à faire en sorte que
rouler en voiture soit insupportable et que lautomobile
soit considérée comme une intruse dans lespace
urbain. La chaussée sera rendue aux cyclistes et
aux transports en commun.
De ces deux solutions la première sera toujours
choisie car, même si elle ne résout pas grand
chose, elle est aisément mise en place et donne lillusion
davoir contribué à la bonne cause. La
deuxième solution nest presque jamais mise
en uvre car elle demande une bien trop grande remise
en question de nos modes de vies, une réforme profonde
de mode de pensées et une atteinte à ce sacro-saint
confort moderne auquel nous, occidentaux privilégiés,
naccepterons jamais de renoncer. Trouver des solutions
aux problèmes causés par lautomobile
ne peut se traduire que par une baisse de notre consommation
énergétique et une diminution du nombre de
kilomètres parcouru dans ces boîtes de tôle
à moteur. Nous préférons donc continuer
à croire, ou faire semblant de croire, que la technique
viendra à notre secours sur son fier destrier et
nous permettra de ne jamais, ô jamais avoir à
remettre en cause notre niveau de vie (14).
Décroissance des flux de transport
Le nombre de camions roulant sur les routes européennes
augmente chaque année. Pour faire face à ce
flux croissant, des solutions de ferroutage sont envisagées.
Encore une fois, cest une solution technique qui permettra
de résoudre le symptôme (il y a trop de camions
sur les routes) au lieu de se pencher sur la cause de problème
(notre mode de vie impose que de plus en plus de camions
roulent sur les routes). De même, pour lautomobile,
nous devons nous attaquer à la cause du problème,
cest-à-dire au fait que de plus en plus de
trajets en automobile soient nécessaires pour vivre.
Pourquoi les étudiants ne peuvent-ils plus se passer
de voiture ? Pourquoi certaines personnes effectuent-elles
plus de 60 km pour se rendre à leur travail ?
Nous devons, bien sûr, remplacer dès que nous
le pouvons les trajets en voiture par dautres modes
de transports respectueux de lenvironnement mais aussi
en faire diminuer le nombre. Notre liberté est essentielle,
mais a des limites. Elle sarrête là où
commence celle, pour chaque humain, davoir une vie
décente, que ce soit ici ou à lautre
bout de la planète, aujourdhui ou dans 15 000
ans. La marche à pied et la bicyclette sont des moyens
de transports conviviaux dont nous pouvons user et abuser
sans autre limite que celle apportée par notre force
physique. Cependant, si chaque habitant de la Terre se mettait
à faire chaque jour un trajet Paris-Lyon en TGV,
le bilan ne serait pas bien meilleur quil ne lest
avec lautomobile aujourdhui puisque pour
transporter une personne de Paris à Lyon un TGV consomme
12,5 dep (kilo équivalent pétrole), alors
qu'une voiture en consomme 30 (15). Pour transporter
une personne, un TGV utilise donc 41 % de lénergie
utilisée par une voiture. Si nous mettons les camions
sur les trains, si nous remplaçons nos trajets en
voiture par des trajets en TGV et que, dans un même
temps, nous augmentons la distance de notre trajet par 2,5,
alors nous naurons strictement rien gagné.
Pour sortir de lidéologie automobile, nous
devons nous inscrire dans la logique dune décroissance
de nos flux de transports de manière générale.
Cela signifie une relocalisation de léconomie
et des échanges, une limitation de la taille des
entreprises, le démantèlement des grandes
surfaces au profit du commerce local. Prenons par exemple
la structure de nos villes. Les quartiers se spécialisent
: quartier résidentiel, quartier daffaires,
centre commercial. La distance nécessaire pour faire
ses courses sallonge. Les entreprises simplantent
dans les périphéries lointaines, là
où les terrains sont moins chers. Les magasins de
mode se concentrent dans lhyper centre et les quartiers
dépérissent. Le résultat ultime de
cette évolution ressemble aux ville américaines
comme Los Angeles qui sétend sur 200 km ou
Detroit qui ne compte que 4,5 millions dhabitants
mais occupe plus de 10 000 km2.
Les multinationales emploient des centaines des spécialistes
sur un même site. La relocalisation de léconomie
consiste à réduire la taille maximale des
entreprises au profit de structures à taille humaine
qui respectent la répartition des compétences.
Les rendements industriels actuels se font soit au détriment
dautres peuples que nous réduisons en esclavage
(16), soit au détriment des ressources énergétiques
dont la Terre dispose (le pétrole qui permet la mécanisation).
Se tourner vers une industrie locale respectueuse de lenvironnement
se traduirait par un moins grand besoin de flux de marchandises
et dhumains. Cela est possible en refusant dasservir
la Terre et les peuples qui la composent et en acceptant
de baisser le niveau de vie économique dont dépend
cet asservissement. De même, labandon de lagriculture
intensive au profit de lagriculture locale, labandon
des engrais chimiques et le retour au travail manuel permettraient
un moins grand disséminement des habitants des campagnes
et une moins grande dépendance de ceux-ci par rapport
aux flux routiers.
Si la décroissance du nombre de flux de transport
est importante, la diminution de la vitesse de ceux-ci lest
aussi. Largument le plus fréquemment utilisé
pour justifier lutilisation dune voiture est
la vitesse à laquelle celle-ci permet de se rendre
dun point à lautre. Nous pouvons sortir
de lautomobile en refusant de sinscrire dans
cette logique du toujours plus vite et en préférant
des moyens de transports plus lents, mais écologiquement
soutenables telles que la bicyclette ou le train. Et lorsque
nous serons dans notre tortillard à lire un bon livre
de Barjavel, nous aurons tout le loisir de nous rendre compte
que tout le temps perdu à lire dans ce
train est en fait compensé par celui qui naura
pas été passé à travailler pour
se payer une voiture.Décroissance et sortie de lautomobile
sont deux démarches liées par leur but et
leur manière de procéder. Abandonner lautomobile,
réduire le nombre et la vitesse des flux de transports
sont nécessaires à une réduction de
la consommation énergétique à un niveau
qui permette datteindre léquilibre entre
énergie consommée et énergie renouvelable
(17).
Sortir de lautomobile en redéfinissant
nos objectifs
Sortir de lautomobile, cest remettre en cause
beaucoup plus que nos moyens de transports. Cest remettre
en cause nos modes de vies, la structure de notre société
et les objectifs que celle-ci sest posée. La
croissance économique et la hausse constante de notre
niveau de vie ne sont pas des objectifs. Les relations humaines,
le bonheur, faire en sorte que tout le monde puisse manger
à sa faim en sont. A un niveau plus local, lobjectif
davoir la plus grosse et la plus puissante voiture
possible pourra alors être remplacé par lobjectif
de passer de bons moments en se déplaçant
à vélo sur des routes débarrassées
des automobiles.
Si notre objectif est la décroissance, la redistribution
des ressources et la préservation de lenvironnement,
le fait de gagner une course de Formule 1 ne sera plus glorifié
tel que cela lest aujourdhui, les étudiants
en mécanique nauront plus lil qui
brille lorsquils parlent du dernier moteur à
8 cylindres, le fait de posséder une auto puissante
et rapide ne sera plus un moyen de se faire admirer. Lautomobile
paraîtra au contraire totalement ringarde, inutile
et moche car allant totalement à lencontre
de la préservation de la vie humaine. Nos comportements
découlent directement de la direction prise par la
société. Si nous voulons une croissance infinie,
si nous plaçons léconomie et la technique
au-dessus des valeurs humaines, nous aurons un monde rempli
de voitures, pollué et irrespectueux de lêtre
humain. Si, au contraire, nous préférons mettre
en avant le respect de lhomme et la nature qui lenvironne,
nous abandonnerons ces horribles boîtes de tôle
à moteur qui nous polluent la vie, nous réduirons
notre niveau de vie économique et augmenterons notre
niveau de vie relationnel, social et humain.
Sortir de lautomobile par la non
puissance
Le redéfinition de nos objectifs, individuels ou
collectifs passe aussi par le refus de la puissance, cest-à-dire
par le refus de la domination dêtres humains
sur dautres êtres humains. Refuser de rouler
en 4x4 et dimposer sa domination sur la route, cest
refuser dimposer la domination internationale nécessaire
au pétrole qui en remplit le réservoir. En
diabolisant les Américains pour avoir déclaré
la guerre contre Saddam Hussein, nous cherchons à
nous acheter une bonne conscience et à oublier que
nous, Européens, nous inscrivons dans la même
démarche que ce pays. A la puissance américaine,
nous opposons la puissance européenne, les intérêts
communs entre la Russie, la France et lAllemagne.
Malheureusement, le résultat est le même que
ce soit Exxon-Mobil/Esso ou TotalElfFina qui exploite le
pétrole irakien.
Le refus de la puissance, cest le refus dimposer
à dautres ce quils nont pas voulu.
En imposant lautomobile, on impose la guerre, mais
lon impose aussi aux enfants de rester chez eux, la
rue étant devenue trop dangereuse pour eux pour jouer.
On impose aux cyclistes de porter un masque au charbon actif,
un casque et (peut-être bientôt) des armures
pour se protéger du danger. Cette étape est
peut-être la plus difficile à franchir car
elle impose que nous maîtrisions notre animalité
et notre soif de pouvoir au profit de notre humanité.
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